De l’art de larguer un pote
Une fois la trentaine passée, il est de plus en plus récurrent de croiser cette question : mais comment se fait-on des amis ?
Et je n’en ai strictement aucune idée. Mes amies sont les mêmes depuis bientôt un décennie, avec des liens qui fleurissent et d’autres qui fânent, mais ces racines ont toujours été là : la scolarité.
Une non-négligeable parti de mon cercle social actuel provient de mes études, dont la grande majorité de mes études supérieures. Je n’écris pas « l’intégralité » pour éviter que les quelques uns qui ne rentrent pas dans ce critère me chie à la gueule, mais je sais que vous ne me lisez pas, d’ailleurs qui lit un blog en 2025 hein ? Faut que je me lance dans un podcast ? Me relire c’est déjà douloureux alors écouter ma propre voix : plutôt crever.
Pourtant, j’en ai fais des rencontres tout le long de ma vie, mais sont-ils restés ?
Mon club de Hand ? Ceux qui sont encore là sont ceux qu’on étaient avec moi en classe. Le collectif techno ? Ils viennent tous de mon école, et ne m’invitent mêmepas aux soirées. Les personnes rencontrés en festival ? Abandonnés sur la route lors d’une overdose ; n’hésitez pas à appeler le 15 si vous les croisez.
Si on se fie à ce qu’on lit sur les Internets, et comme tout le monde le sait si c’est sur Internet c’est forcément vrai, il faudrait faire des activités pour se faire des amis.
Que nenni, fouillez votre mémoire et dites moi combien de personne de votre club de marathon ou d’escalade, vu que c’est apparemment les 2 seuls activités qu’un cadre trentenaire en manque de lien social peut se permettre, sont aujourd’hui vos amis ?
Mais entendons-nous sur la définition d’ami, et je parle de vrais amis, de ceux qui ont déjà porté la nuisette de votre mère parce que vous leur avait dit de ne surtout pas ouvrir un et un unique placard dans l’intégralité de la maison de vos parents le temps de revenir des courses, pas les amis qui ont tout d’un coup un marathon ou une compét’ d’escalade pile le jour de votre déménagement.
De ceux à qui vous pourriez laisser vos enfants sans garder en vous la moindre once d’inquiétude. N’ayant pas d’enfant, j’imagine que je leur laisse mon ordinateur : c’est peu ou prou la même chose dans mon cœur.
Il existe néanmoins une méthode infaillible pour devenir proche avec quelqu’un : avoir un ennemi commun.
Alors, quand j’énonce « ennemi commun », je ne vous parle pas non plus d’un dangereux Némésis qui vient intenter à votre vie, notamment parce que votre vie est probablement suffisament insignifiante pour que qui que ce soit en ait contre vous personnellement.
Oui Gérard, même les Reptiliens en ont que faire que tu ais découvert que la Terre était plate, va falloir me laisser maintenant.
Je vous parle plutôt de cet adversaire du quotidien : qu’est-ce qui fait que vous vous êtes rapprochés avec vos collègues de travail ? Ce super séminaire à Charlevilles-Mézieres avec tout le service compta ? Evidemment que non, c’est le fait d’avoir un camarade avec qui cracher votre haine sur ce manager toxique et vos vilipenderies sur ce client tatillon.
Vous croyez que les colocs qui se passent bien c’est parce que « L’ambiance est grave cool et tous les dimanches on brunch ensemble ! » Foutaises, les liens les plus forts se font lorsque votre proprio tente de vous arnaquer sur les charges, parce que malgré votre bac+5 vous ne comprenez toujours pas comment ça marche cette connerie.
Et à l’école, cet adversaire du quotidien, il est partout : les examens, ce prof de khôle qui pousse les étudiants au suicide ou tout simplement la bouffe du RU. Tant d’occasions trouvées pour briser la glace avec votre voisin et commencer une belle amitié.
Vous avez une bande de copains : c’est merveilleux.
Mais si vous êtes assidus sur ce blog qui ne l’est clairement pas, les bandes de copains, je m’en méfie. Parce qu’il est beaucoup plus acceptable de se faire poignarder par un parfait inconnu plutôt que par un proche, tel un Jules César qui, après 23 coups de poignards dans le bide ne s’offusqua que lorsqu’il reconnut son fils parmi eux.
Car il existe dans l’amitié un tabou : la fin de celle-ci.
On a tous entendu cette réflexion : « Laisse le temps faire le tri », et en vieillissant, j’ai compris que ce dicton n’avait aucun sens. Ou plutôt, j’ai compris que je n’avais jamais compris ce dicton. Pourquoi le temps me ferait perdre des amis ? Qu’est-ce que le temps aurait à voir avec ma relation à autrui ?
Mais comme tout dicton de boomer qui se croit philosophe avec des phrases toutes faites, il manque une composante fondamentale : le temps nous rend plus mâture, et c’est cette maturité qui fait le tri.
Oui je me sens comme un putain de génie d’avoir compris ça, les 60e par séance de psy par mois vaut clairement le coup, j’espère que le mois prochain on discutera de la signification de « Pierre qui roule n’amasse pas mousse »
Mais ce qu’on entend du dicton, c’est que c’est une durée qui tuerait une amitié. Implicitement, une durée dans laquelle l’amitié se diluerait car on passerait moins de temps ensemble.
Mais ça, je ne l’ai jamais cru. Une amitié est une amitié. Point. « Loin des yeux loin du cœur » mon cul, encore une phrase de cette génération pourrie gâtée incapable de se remettre en question autrement que par des phrases bateaux.
J’ai des amis que je croise une fois tous les 5 ans, mais qui par leur valeurs, sont des personnes que j’admire et j’apprécie à chaque fois que nos chemins se recroisent.
Il y en a d’autres avec qui j’ai fait les 400 coups, passer la majorité de mon temps libre dans la même colocation voir même un roadtrip au Brésil pour lesquels le temps a fait le tri parce qu’il s’est avéré que ça les éclatait d’harceler ma copine.
Mais comme tout homme qui se dit déconstruit mais pour qui « non mais t’inquiète je me gère tout seul, j’ai mon blog pour parler de mes problèmes pas besoin de psy », il y a d’autres solutions pour savoir si on pète un plombs. Juste pour s’assurer que ce n’est pas nous qui faisons du zèle à couper net une relation qui, de loin, pouvez ressembler une « super amitié ».
Mon premier réflexe a été de poster sur r/suisjetroudeballe.
Le principe de ce forum est simple : on raconte une histoire, généralement son histoire, et on demande à la justice populaire si nous sommes un renflement brun ou non.
J’imagine parce que la Justice est déjà bien débordée pour ne pas ajouter les ouins-ouins du quotidien de ses citoyens.
Voici la mienne :
STB d’avoir rompu intégralement une amitié de 15 ans ?
J’ (30M) ai décidé d’arrêter entièrement d’avoir des contacts avec mon meilleur pote du lycée.
Maintenant que vous avez le synopsis, passons au contexte : Thomas* est une personne que je considère comme mon meilleur ami depuis la seconde.
*Le prénom a été modifié. Je ne sais pas trop pourquoi, mais flemme de me faire un trash-account et il est possible de savoir qui je suis juste avec mon historique et cette histoire.
Combo cliché de l’amitié adolescente : on partait en vacances ensemble sur des coups de têtes, on organisait l’anniversaire surprise de l’autre, on avait un groupe de rock, etc, etc.
Au collège je n’avais pas beaucoup de potes, quelques uns, mais mon cerveau a préféré retenir le harcèlement subi plutôt que les petites amitiés que j’ai quand même pu avoir. Aucun rapport avec notre histoire, c’est surtout pour mettre du crédit sur cette amitié avec Thomas : c’était la première personne que je considérais comme un vrai ami.
Flash forward post-bac : je finis en école d’ingé, lui école de commerce. J’ai la chance d’avoir une promo incroyable dans laquelle je me fais des ami.e.s pour la vie, le genre de groupe que je ne voyais que dans les séries. Thomas j’ai l’impression que ce n’est pas trop ça, du moins il ne m’en parle pas trop. J’essaie de l’intégrer à mon groupe de potes ingés, mais ça ne fit jamais trop.
Diplôme en poche, je m’expatrie à Paris. Je m’y suis fait un bon réseau de potes grâce au monde de la fête parisienne, plus comble du bonheur, 95% de mon groupe d’ingé finis à Paris
Je rentre régulièrement au bercail le week-end, et Thomas est la personne, avec ma famille, que j’essaie de voir à chaque fois. De plus, il s’est aussi fait un groupe de pote sur place, dont il m’incruste à pas mal de leurs soirées.
2020, Covid : j’interprète ça comme un signe du destin de quitter Paris pour rentrer m’installer dans ma région natale, après avoir rencontré une Parisienne que j’ai réussi à extirper, mais laissant la quasi intégralité de ma vie sociale à la capitale.
Thomas est hyper heureux : il m’aide à déménager, nous incruste à quasi tous les événements de son groupe de potes, toutes les soirées, barbecue, dîner, brunch, etc. Il recrute même ma copine comme chanteuse dans son groupe de rock.
Petit problème : Paris m’a totalement « wokisé », comme dirait Pascal. Thomas et moi venont d’une banlieue du Nord plus connue pour ses concours de tuning le week-end que de sa scène LGBTQIA+ des soirées parisiennes. Pendant ces 4 années à Paris, j’y ai rencontré tellement de gens, y ai vécu tellement d’expériences, que j’ai évolué sur énormément de sujets (d’ailleurs Paris meilleure ville du monde pour ça, mais punaise qu’est-ce que vous êtes nombreux c’est invivable)
Et c’est là que le bât blesse : le groupe de pote de Thomas est problématique sur de nombreux sujets : blagues misogynes, racistes, homophobes. Le parfait boy’s club de mecs blancs, étant moi-même un.
J’ai pour valeurs de ne jamais juger quelqu’un pour ses paroles : un mec qui raconte des trucs racistes/misogynes, surtout sur le ton de l’humour, au pire je me dis « C’pas hyper drôle ce qu’il dit, j’espère qu’il en a conscience » tant que ce n’est pas couplé à des actes, je me dis qu’on peut toujours discuter (comme chante un artiste que j’aime bien : « On n’est pas toujours d’accord, mais on a la chance de pouvoir en discuter, c’est mieux que de dire ce que l’on pense à son poste de télé »)
Mais quand le bât blesse, il ne vous érafle pas : il vous frappe à la nuque. Le Gorafi l’avait déjà titré : « Breaking News : ce pote qui ne fait que des blagues sexistes était en fait sexiste »
Heureusement, ce n’est pas (encore. Oups je spoil pour vous maintenir en haleine) Thomas, mais une personne de son groupe qui me laisse la chance incroyable d’assister à une agression sexuelle en direct : il prend en photo les décolletés de ses collègues au taf’ pour nous demander de les noter dans la conversation de groupe que nous avons.
Là, je pète un plombs, je le qualifie de prédateur sexuel et de grand malade, et je ne cautionne en aucun cas ce comportement : tout le reste du groupe le défend, à base de « On ne peut plus rien faire aujourd’hui » et autre « ça y est, depuis que t’as vécu à Paris tu ne te sens plus pisser »
Je quitte ce groupe, en envoyant un dernier MP : « Rester avec vous c’est cautionner, donc je pars. Mais si vous êtes prêt à évoluer et à comprendre pourquoi ce qu’il a fait me trigger, je serai ravi de pouvoir revenir »
Je quitte ce groupe, mais reste en bon contact avec Thomas, qui même si il ne m’a pas défendu, ne m’a pas attaqué non plus. Malheureusement, il suit un chemin qui débutera la chute : il organise un verre pour m’expliquer que je sur-réagis à la situation, et que c’est bon quoi, tous les mecs font ça.
Encore une fois, je ne juge jamais sur les discours, qu’aux actes, mais le fait d’organiser un verre pour défendre un aggresseur sexuel avéré se trouve dans une zone grise franchement limite.
Mais parlons un peu de Thomas. Il va se marier bientôt, dans un mois exactement, avec sa copine dont ils sont ensemble depuis 8 ans. Le pote agresseur sexuel ? C’est son témoin. Je comprends donc la démarche de ne pas vouloir de drama le jour J, et lui excuse l’ambiguïté de défendre ce genre d’actes.
Mais, plot-twist, sa fiancée le quitte un mois avant la date de la cérémonie.
Thomas est dévasté, j’essaie d’être là pour lui mais je ne me sens plus aussi proche qu’avant, surtout depuis quelques incivilités qu’il a pu faire à moi et mes proches avant cette rupture : nous demander de participer à des cadeaux communs d’anniversaire dont il ne nous a même pas invité, ou ma copine qui apprend qu’elle est virée du groupe de rock par Story Instagram publique interposée.
Vraiment rien de grave, mais suffisamment irritants pour ne pas être 100% derrière lui chaque fois
Thomas étant charmant et charmeur, et vice et versa, il retrouve rapidement une partenaire à son travail, travail dans lequel il a risqué un blâme pour propos violent.
Je suis content pour lui, lui dit de faire gaffe quand même parce que ça ressemble pas mal à une relation tampon, c’est une collègue, mais si le sexe et le feeling est cool autant en profiter ça lui fera du bien, surtout qu’il devait se marier avec une autre il y a à peine 30 jours.
3 mois plus tard, il m’annonce que sa copine est enceinte de 3 mois.
Oké wooh, félicitations j’imagine ?
Alors tout ce contexte pour quoi au final ? Parce qu’avec une copine enceinte, il lui a proposé d’emménager chez lui, par contre sans ses animaux, vu qu’il a déjà un chien, elle devra l’abandonner : elle l’a fait (en le refilant à son frère, tout va bien le chien va bien) par contre les chats eux restent.
Thomas accepte avec dégoût, il a horreur des chats.
Horreur à un point où un jour, fier de lui, me sort « Tain’ le vétérinaire a voulu porter plainte contre moi parce que j’avais cassé la mâchoire du chat, en même temps il avait pissé à côté de la litière alors que je venais de nettoyer ahah »
Et ces propos résonnent encore dans ma tête : il a cassé la mâchoire d’un chat, un professionnel de la santé animal a voulu porter plainte contre lui en voyant ces blessures, et IL EN RIGOLE AU BAR.
Depuis ce soir là, je ne lui parle plus.
Ou plutôt, je lui ai envoyé un dernier message lui expliquant mes sentiments, qu’à mes yeux quelqu’un capable de blesser un animal domestique sous le coup de la colère est quelqu’un de dangereux si il ne tente pas de se faire soigner. Il m’a répondu que je ne comprenais pas sa vie et que je n’avais aucun droit de le juger.
En parallèle, j’ai appris par son ex (ma copine ayant gardé bon contact avec elle) qu’elle l’avait quitté parce qu’il était violent avec elle(pas de coup apparemment, mais ce n’est pas passé loin) en plus de la forcer à avoir un enfant avec lui. Je ne sais pas la véracité de ces histoires, mais en tout cas ça corrèle avec ce que je vois de lui.
Et il est maintenant Papa d’une petite fille, d’une mère qu’il a à peine rencontré.
Dans ma tête, tous les critères sont là pour qu’un jour ça dégénère. Je le juge par avance, il est peut-être réellement aimant avec sa famille, et je croise les doigts très forts que ce soit le cas.
Mais au plus profond de mon esprit, j’aurai toujours peur d’un potentiel fait divers conjugal sordide venant de ses mains, et cette peur ne s’arrêtera que le jour où il sera mort et que ces 2 femmes me disent : « Il nous a aimé tout notre vie, il n’a jamais été violent avec nous »
Et pour moi il est inconcevable de rester ami avec quelqu’un et avoir de telles pensées en même temps.
Suis-je trou de balle de ne plus parler avec mon meilleur ami d’adolescence ?
Le jury populaire a parlé :
Mais il y a une chose que j’ai réellement appris des échanges en commentaire de mon histoire : l’Amitié n’a rien de sacrée ou d’immuable et ce genre d’événement est douloureux uniquement parce qu’on met nos souvenirs heureux sur un piédestal, et on enfouit ceux qui nous font de la peine : ce n’est pas parce qu’on rigole bien à l’apéro ensemble que tu resteras mon pote après avoir agressé des trans dans la rue.
D’ailleurs les 2% de « TTB » sont ceux qui m’expliquaient que « Je n’étais qu’une merde à penser comme ça », et que de vrais potes devraient se supporter même si l’un d’eux fini en prison pour avoir tabassé sa femme.
Si je l’écris ici, c’est pour ne pas oublier que la vie est parfois comme une boîte de chocolat : si ça fait 15 ans que tu tapes dans la même, c’est possible que certains aient eu le temps de moisir.
Kori